Principales oeuvres de Guillaume Apollinaire

Quelques oeuvres de Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky dit Guillaume Apollinaire : Guillaume Apollinaire ...

Quelques oeuvres de Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky dit Guillaume Apollinaire :

Guillaume Apollinaire  :Poète et écrivain français (1880-1918)
Guillaume Apollinaire

1. Alcools - Guillaume Apollinaire 1913  :

Recueil poétique de Guillaume Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918), publié à Paris au Mercure de France en 1913. De nombreux poèmes avaient paru auparavant dans diverses revues.

Alcools est le premier grand recueil poétique d'Apollinaire qui n'a publié, avant 1913, qu'un seul ouvrage de poésie: le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911), mince plaquette tirée à cent vingt exemplaires et illustrée par des gravures de Raoul Dufy. Alcools rend compte toutefois d'un long trajet poétique puisque le recueil rassemble des textes écrits entre 1898 et 1913, que l'auteur retravaille et modifie souvent pour la publication en volume. La critique fut en général peu enthousiaste, voire très agressive _ Georges Duhamel, dans le Mercure de France du 15 juin 1913, taxe le recueil de «boutique de brocanteur» _ et Apollinaire fut blessé de cette incompréhension
à l'égard de son oeuvre.

Alcools s'ouvre sur un long poème écrit en 1912 et intitulé "Zone". Le premier vers de ce texte inaugural, riche et multiple, ancre d'emblée le recueil dans la modernité: «A la fin tu es las de ce monde ancien». Viennent ensuite "le Pont Mirabeau" puis "la Chanson du mal-aimé", longue complainte divisée en six sections. Les vingt-sept poèmes suivants, de longueur et d'inspiration
variées, se présentent comme une succession d'unités autonomes, mais les titres laissent présager la présence d'images et de thèmes récurrents: "Saltimbanque" et "la Tzigane" se font écho et suggèrent à la fois le voyage et l'errance _ de même que "le Voyageur", "l'Adieu" ou "le Vent nocturne" _, la solitude et la marginalité _ tout comme "l'Ermite" ou "le Larron". Le déclin et la mort sont inscrits dans des titres tels que "Crépuscule", "la Maison des morts" et "Automne", auquel s'associent "les Colchiques"; un univers légendaire se dessine à travers "la Blanche Neige", "Salomé" et "Merlin et la Vieille Femme"; des noms féminins tels que "Annie", "Clotilde", "Marizibill", "Marie", "Salomé" et "Rosemonde" jalonnent la progression du recueil.

Ce dernier comporte ensuite une section intitulée «Rhénanes» et composée de neuf textes d'inspiration germanique parmi lesquels figure le célèbre poème
consacré à "la Loreley". Après trois poèmes assez brefs _ "Signe", "Un soir"
et "la Dame" _, le long poème "les Fiançailles", divisé en neuf parties
dépourvues de titres, évoque de façon poignante la fuite du temps, la solitude
et le dénuement.
Le recueil propose de nouveau deux textes brefs _ "Clair de lune" et "1909" _
puis un long poème en six parties, "A la Santé", issu de la triste expérience
de la détention effectuée en septembre 1911 par Apollinaire à la prison de la
Santé. Enfin, "Automne malade", "Hôtels" et "Cors de chasse" précèdent
l'ultime poème du recueil, "Vendémiaire", dans lequel le poète éternise son
chant: «Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi.»
Apollinaire avait d'abord songé à intituler son recueil Eau-de-vie. Alcools
est toutefois plus net, provocant et moderne, et rapporte l'acte poétique,
dans la continuité de Baudelaire et de Rimbaud, à un dérèglement des sens:
«Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie» ("Vendémiaire"). Les références
explicites à la boisson enivrante sont fréquentes dans le recueil: «Et tu bois
cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie»
("Zone"), «Nous fumons et buvons comme autrefois» ("Poème lu au mariage
d'André Salmon"), «Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme»
("Nuit rhénane"). De même, l'univers d'Alcools est jalonné de nombreux lieux
pourvoyeurs de boissons: des «tavernes» ("Zone"), des auberges _ celle du
"Voyageur" est «triste» et celles des "Saltimbanques" sont «grises» _, des
brasseries _ «Beaucoup entraient dans les brasseries» ("la Maison des morts"),
«Elle [...] buvait lasse des trottoirs / Très tard dans les brasseries
borgnes» ("Marizibill"). D'un symbolisme multiple, que le pluriel du titre
élargit encore, l'alcool désigne l'universelle soif du poète, le paroxysme de
ses désirs: «Je buvais à pleins verres les étoiles» ("les Fiançailles"), «Je
suis ivre d'avoir bu tout l'univers / [...] Écoutez-moi je suis le gosier de
Paris / Et je boirai encore s'il me plaît l'univers» ("Vendémiaire"). Extrême
et intarissable, cette soif, souvent euphorique, court toutefois le risque de
demeurer inassouvie: «Mondes [...] / Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré»
("Vendémiaire"). L'alcool suggère en outre la transgression, la possibilité de
faire fi des tabous et des normes, en somme les audaces d'une poésie novatrice
et moderne.
La poésie d'Alcools se déploie en effet souvent dans la fantaisie et la
rupture à l'égard des normes, mais elle se plie également à certaines règles.
C'est ce mélange de nouveauté et de tradition, de surprise et de
reconnaissance qui fait l'originalité du recueil. Si, sur le plan prosodique,
Apollinaire conserve en général la rime et la régularité métrique _ avec une
nette prédilection pour l'octosyllabe et l'alexandrin _, c'est en raison d'une
nécessité interne à sa poésie et non par souci d'obéir à une quelconque
contrainte extérieure. La poésie d'Alcools s'enracine dans le chant qu'elle
cherche à rejoindre par son souffle propre. Les enregistrements qui demeurent
du poète témoignent d'ailleurs de cette parenté: Apollinaire, lisant ses
textes, semble chanter. Or la rime et le mètre ne sont pas seuls à contribuer
à la musicalité du recueil. La répétition, savamment agencée, confère à de
nombreux poèmes un rythme qui les rapproche du cantique. "Le Pont Mirabeau",
par la reprise du refrain _ «Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en
vont je demeure» _ et celle, juste avant la dernière occurrence du refrain, du
premier vers _ «Sous le pont Mirabeau coule la Seine» _ a l'aspect d'une
litanie tragique et conjuratoire. Dans "la Chanson du mal-aimé", la reprise
d'une strophe majestueuse par son adresse et solennelle par la référence
biblique qu'elle contient _ «Voie lactée ô soeur lumineuse / Des blancs
ruisseaux de Chanaan» _ donne au poème une dimension incantatoire. Ailleurs,
la répétition, plus légère et joyeuse _ celle par exemple de la tournure,
elle-même répétitive, «Le mai le joli mai» dans "Mai" _, confère au poème des
allures de chanson populaire, voire de comptine.
Toutefois, rien n'est jamais stable dans cette poésie qui refuse le confort
mélodique et préfère l'incertitude. Le poème intitulé "les Colchiques"
installe la régularité de l'alexandrin tout en y inscrivant de subtiles
fractures: la disposition graphique démembre le mètre _ «Les vaches y paissant
/ Lentement s'empoisonnent» _, certains vers ont plus de douze syllabes _
«Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica» _ si bien que, finalement, la
lecture hésite face à d'autres vers dont on peut faire des alexandrins, au
prix de quelques élisions audacieuses _ par exemple: «Qui batt(ent) comme les
fleurs battent au vent dément» _, mais que l'on peut également considérer
comme irréguliers. De même, dans "Marie", un alexandrin unique vient soudain
perturber la régularité du poème par ailleurs entièrement composé
d'octosyllabes. La prosodie d'Alcools cultive la discordance qui déstabilise,
ébranle, introduit comme un déchirement. A l'échelle du recueil pris dans son
ensemble, le poème "Chantre", constitué d'un vers unique, qu'Apollinaire
appelait drôlement «vers solitaire» _ «Et l'unique cordeau des trompettes
marines» _ produit un effet similaire.
Ces fractures sont à l'image de l'expérience, le plus souvent douloureuse et
angoissée, qui se dévoile à travers Alcools. Divers poèmes sont d'ailleurs, de
l'aveu d'Apollinaire lui-même, directement liés aux circonstances
biographiques. Ainsi "la Chanson du mal-aimé" exprime le désarroi du poète
dans son amour malheureux pour une jeune Anglaise, Annie Playden. Toutefois,
la matière poétique transcende l'anecdote, notamment grâce à la richesse des
images. Certaines, récurrentes dans le recueil, contribuent à son unité, voire
à l'envoûtement qui en émane peu à peu lors d'une lecture continue. Ainsi, le
flux de l'eau est fréquemment, mais de façon toujours renouvelée, associé au
temps qui passe, à la fois irréversible _ «Passent les jours et passent les
semaines / Ni temps passé / Ni les amours reviennent / Sous le pont Mirabeau
coule la Seine» ("le Pont Mirabeau") _ et immuable _ «Je passais au bord de la
Seine / Un livre ancien sous le bras / Le fleuve est pareil à ma peine / Il
s'écoule et ne tarit pas / Quand donc finira la semaine» ("Marie").
L'automne, saison fascinante et tragique, évoque le déclin de toute chose _
«Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs / Les fruits tombant sans qu'on
les cueille / Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes leurs larmes en
automne feuille à feuille / [...] La vie / S'écoule» ("Automne malade") _, la
séparation des amants _ «Sais-je où s'en iront tes cheveux / Et tes mains
feuilles de l'automne / Que jonchent aussi nos aveux» ("Marie") _ et la mort _
«L'automne a fait mourir l'été» ("Automne"). Ces images sont certes
traditionnelles mais la poésie d'Alcools les renouvelle par le traitement
qu'elle leur réserve. Amplement utilisée, la comparaison engendre un monde
propre qui transmue le poème en vision, souvent violente: «Le soleil ce
jour-là s'étalait comme un ventre / Maternel qui saignait lentement sur le
ciel / La lumière est ma mère ô lumière sanglante / Les nuages coulaient comme
un flux menstruel» ("Merlin et la Vieille Femme"). Ailleurs, la métaphore,
dont l'allitération renforce l'efficacité, transfigure ce même spectacle
initial d'un coucher de soleil en une scène de décapitation: «Soleil cou
coupé» ("Zone").
L'univers d'Alcools est en outre résolument ancré dans la modernité,
singulièrement celle du monde urbain. La grande ville est présente dans "la
Chanson du mal-aimé" _ «Un soir de demi-brume à Londres» _ ou dans "le Pont
Mirabeau" dont le titre évoque explicitement Paris. Le ton est donné dès le
premier poème, "Zone", aux références et à la terminologie très
contemporaines: «les automobiles», «les hangars de Port-Aviation», «les
affiches», «cette rue industrielle», «des troupeaux d'autobus», «le zinc d'un
bar crapuleux». Quant au dernier poème, "Vendémiaire", il dresse une sorte de
panorama urbain universel: «J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
/ Venez toutes couler dans ma gorge profonde.»
Les lieux où se déploie cette poésie sont cependant variés, car le voyage est
l'un des thèmes dominants d'Alcools. Des titres de poèmes tels que "le
Voyageur" ou "Hôtels" en témoignent. Ceux que l'on appelle les «gens du
voyage» sont également présents dans les titres _ "Saltimbanques", "la
Tzigane" _ et dans les poèmes _ «Un ours un singe un chien menés par des
Tziganes / Suivaient une roulotte traînée par un âne» ("Mai"); «Des sorciers
venus de Bohême» ("Crépuscule"). Le voyage est en outre fréquemment rapporté à
l'expérience personnelle: «Maintenant tu es au bord de la Méditerranée / [...]
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague / [...] Te voici à
Marseille au milieu des pastèques / Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant /
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon / Te voici à Amsterdam avec une
jeune fille [...]» ("Zone"). Le voyage dans l'espace va de pair avec celui
dans le temps. Le passé du poète est représenté _ Alcools se plaît à
l'évocation, souvent pathétique, des souvenirs _ mais aussi celui de
l'humanité, par le biais des mythes, nombreux dans le recueil. Ces mythes sont
de sources très diverses _ la Bible, les contes populaires, les légendes
gréco-latines, orientales, celtiques, germaniques, etc. _ et contribuent, par
leur exotisme et leur étrangeté, au charme mystérieux et nostalgique qui émane
d'Alcools.
Spatial ou temporel, le voyage est signe de liberté et peut donc être associé
à la fête et à la richesse: les saltimbanques «ont des poids ronds ou carrés /
Des tambours des cerceaux dorés» ("Saltimbanques"). Il signale la
toute-puissance de l'imagination poétique: «Vers le palais de Rosemonde au
fond du Rêve / Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée / [...] mes
pensées de tous pays de tous temps» ("Palais"). Or cet aspect positif du
voyage, qui abolit limites et entraves, a son envers négatif. Dépourvu de but
déterminé, le voyage est avant tout errance, symbole d'une douloureuse
méconnaissance de soi: «Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes / Je
ne vis que passant ainsi que vous passâtes / Et détournant mes yeux de ce vide
avenir / En moi-même je vois tout le passé grandir» ("Cortège").
Grâce à la richesse de sa prosodie, de ses constructions et de ses images,
Alcools exerce une indéniable fascination. Celle-ci ne doit pourtant pas faire
oublier le caractère fondamentalement pessimiste et désespéré du recueil.

2. Calligrammes 1918 Guillaume Apollinaire

Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916). Recueil poétique de Guillaume
Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918),
publié à Paris au Mercure de France en 1918. De nombreux poèmes avaient été
auparavant publiés dans diverses revues notamment deux ensembles importants:
«Lueurs des tirs» dans le Mercure de France du 1er juillet 1916 et «Poèmes de
guerre et d'amour» dans la Grande Revue de novembre 1917.
Les poèmes qui composent le recueil ont été écrits entre la fin de 1912 et
1917. Calligrammes est donc profondément marqué par la guerre, ainsi qu'en
témoignent le sous-titre et la dédicace: «A la mémoire du plus ancien de mes
camarades René Dalize mort au Champ d'Honneur le 7 mai 1917.» La critique, à
l'exception de celle des revues d'avant-garde, se montra dans l'ensemble
réservée à l'égard de ce recueil novateur.
La première section de Calligrammes, composée avant la déclaration de guerre,
s'intitule «Ondes» et contient seize poèmes. Certains sont des calligrammes _
Apollinaire les avait tout d'abord appelés des«idéogrammes lyriques» _:
"Paysage", "Lettre-océan", "la Cravate et la Montre", "Coeur Couronne et
Miroir", "Voyage", "Il pleut". "Lundi rue Christine" est un
«poème-conversation» qui reproduit des fragments de propos entendus par le
poète dans un lieu public. Ces textes originaux côtoient des poèmes d'une
facture plus traditionnelle comme la longue ode non rimée intitulée "les
Collines".
La deuxième partie du recueil s'intitule «Étendards». Elle comprend neuf
poèmes qui correspondent à une période allant de la déclaration de guerre au
départ d'Apollinaire pour le front en avril 1915. Les références à la guerre
et à l'expérience du poète mobilisé sont multiples et explicites, par exemple
dans "la Petite Auto" ou "2e canonnier conducteur". Cette thématique ne
conduit nullement à un abandon de la verve et de la fantaisie précédentes. Les
calligrammes sont toujours présents _ certains passages des deux poèmes que
nous venons de mentionner relèvent d'ailleurs de cette forme: "la Mandoline
l'Oillet et le Bambou", "la Colombe poignardée et le Jet d'eau".
La troisième section, «Case d'Armons», est formée de vingt et un poèmes écrits
par Apollinaire alors qu'il est au front. Les titres de certains textes
témoignent nettement de cette inscription dans l'Histoire: "1915", "Guerre",
"14 juin 1915", "De la batterie de tir", "la Nuit d'avril 1915". Le poète
poursuit ses recherches graphiques, notamment dans "Loin du pigeonnier",
"S.P.", "Visée", "1915", "Carte postale", "Madeleine" et "Venu de Dieuze".
Les deux parties suivantes, intitulées «Lueurs des tirs» et «Obus couleur de
lune», rassemblent respectivement quinze et dix poèmes. Écrites entre la fin
de 1915 et le début de 1916, elles procèdent d'une inspiration proche de celle
de «Case d'Armons». Enfin, la dernière section, intitulée «la Tête étoilée» et
formée de treize textes, ne contient qu'un seul calligramme: "Éventail des
saveurs". La forme s'assagit, ou plutôt s'apaise, et le ton se fait plus
lyrique et mesuré. Il y a là, singulièrement dans le dernier poème, "la Jolie
Rousse", comme le bilan d'un parcours, celui du recueil et celui d'une vie
durablement marquée par la guerre.
Bien que toutes les pièces qui le composent ne soient pas des calligrammes, le
recueil, par son titre et sa structure d'ensemble, se donne à voir tout autant
qu'à lire. Le poème, objet riche et multiple, se destine à une saisie à la
fois sensorielle et intellectuelle.
Figuratifs, certains calligrammes adoptent une disposition graphique dont le
dessin redouble le mot-titre et la thématique. En général, plusieurs textes de
ce genre cohabitent sur une même page qui se présente alors comme une sorte de
«paysage» (tel est le titre d'un poème) et de nature morte: "la Cravate et la
Montre", "Coeur Couronne et Miroir", "la Mandoline l'Oeillet et le Bambou".
Ailleurs, le rapport entre le tracé du texte et son contenu est plus opaque et
il peut arriver que les mots cèdent la place à d'autres matériaux tels que des
signes musicaux ("Venu de Dieuze") ou des dessins (le faîte d'un poteau
télégraphique dans "Voyage"). Grâce à l'emploi d'une grande variété de
caractères d'imprimerie, le mot peut lui-même faire l'objet d'un traitement
pictural. Ainsi le début de "Du coton dans les oreilles" mêle majuscules et
minuscules, utilise l'italique, divers caractères gras et varie la dimension
des lettres, notamment à l'intérieur du mot «omégaphone», qui, en raison de la
taille de plus en plus réduite des caractères qui le composent, semble peu à
peu disparaître, comme absorbé par la page.
La linéarité du texte est donc mise en question et l'écriture se présente
comme un acte libre et aléatoire. S'octroyant le droit et le pouvoir de
sillonner la page en tous sens, elle témoigne du même coup de l'inépuisable
polysémie du texte poétique. Il peut d'ailleurs arriver que, tous repères
abolis, le poème, singulièrement celui intitulé "Lettre-océan", privilégie la
visibilité au détriment de la lisibilité.
Une disposition traditionnelle cohabite souvent avec des audaces graphiques
qui modifient soudain le flux du discours, y introduisant fantaisie et
invitation à la vigilance. Ces perturbations, parfois modestes, peuvent
consister en une dislocation de vers. L'alexandrin se voit distribué sur deux
puis trois lignes successives dans "la Nuit d'avril 1915". Le poème
"Reconnaissance", dont les deux derniers mots sont décalés sur des lignes plus
basses, semble s'achever sur un effondrement inquiétant qui contredit le
mouvement contenu dans le dernier vers: «Et les canons des indolences / Tirent
mes songes vers / les / cieux.» Le dessin du texte peut aussi disloquer un
mot, voire une syllabe: «Et je fu / m / e / du / ta / bac / de / Zone»
("Fumées").
Ces mêmes procédés de montage ou de collage _ n'oublions pas que Calligrammes
est contemporain des investigations picturales du cubisme _ se retrouvent sur
le plan sonore. Apollinaire crée le poème-conversation, assemblage de bribes
de propos hétéroclites dont la juxtaposition engendre d'étranges rencontres:
«Ces crêpes étaient exquises / La fontaine coule / Robe noire comme ses ongles
/ C'est complètement impossible / Voici monsieur» ("Lundi rue Christine"). Une
allusion ironique aux règles poétiques se glisse comme par hasard dans le
poème: «Ça a l'air de rimer» (ibid.). Affranchi des contraintes
traditionnelles, Apollinaire crée sa propre musique, originale et novatrice.
Le son joue en effet un rôle prépondérant dans les poèmes. Ainsi, le poète
utilise, outre les ressources de l'allitération et de l'assonance, celles de
l'onomatopée _ «Pan pan pan / Perruque perruque / Pan pan pan /Perruque à
canon» ("S.P.") _, de l'interjection _ le vers «Eh! Oh! Ah!» est repris six
fois dans "Mutations" _, des répétitions litaniques _ tous les vers du poème
"Il y a", exceptés les deux derniers, commencent par la formule présentative
_, des mots recherchés _ «Passeur des morts et des mordonnantes mériennes»
("le Musicien de Saint-Merry") _ ou du mélange des langues, en particulier
dans "A travers l'Europe".
En dépit de facteurs d'unité et de continuité indéniables _ le thème de la
guerre, le cadre urbain, le ton prophétique _, le recueil tisse, d'un poème à
l'autre, de surprenantes associations et trouve sa cohérence d'ensemble dans
une liberté égale à celle qui préside à l'ordonnance de la page. Ainsi,
certains poèmes semblent issus d'une écriture quasi automatique et ce n'est
pas hasard si les surréalistes ont vu en Apollinaire une sorte de maître: «Du
rouge au vert tout le jaune se meurt / Quand chantent les aras dans les forêts
natales / Abatis de pihis / Il y a un poème à faire sur l'oiseau qui n'a
qu'une aile / Nous l'enverrons en message téléphonique / Traumatisme géant»
("les Fenêtres"). Toutefois, le travail de construction est décelable derrière
l'apparente gratuité des enchaînements, en particulier à travers la reprise du
motif de la fenêtre, à travers celui de la liberté qui lui est symboliquement
associé et à travers la comparaison finale: «La fenêtre s'ouvre comme une
orange / Le beau fruit de la lumière.» D'autres pièces, au contraire, sont
d'une limpidité prosaïque: «Comme c'était la veille du quatorze juillet / Vers
les quatre heures de l'après-midi / Je descendis dans la rue pour aller voir
les saltimbanques» ("Un fantôme de nuées"). Loin d'être en retrait par rapport
à des textes plus déroutants ou audacieux, de tels poèmes manifestent que la
démarche poétique d'Apollinaire est magistralement placée sous le signe de la
liberté.

3. Le guetteur mélancolique - Guillaume Apollinaire 1952 :

Recueil poétique de Guillaume Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris
de Kostrowitzky (1880-1918), publié à Paris chez Gallimard en 1952.
Tout comme le recueil intitulé Il y a (Paris, Albert Messein, 1925), le
Guetteur mélancolique est composé de poèmes soit inédits, soit éparpillés dans
diverses revues. Dans sa Préface, André Salmon en explique ainsi le titre:
«Les éditeurs ont adopté celui qui s'inspire d'un distique du temps de la
guerre: le Guetteur mélancolique. [...] On estimera qu'un tel choix plairait
au Mal-Aimé, au songeur de Landor Road, à celui qui guettait dimanche sur le
pont Mirabeau, au fier garçon vêtu de bleu, [...] guettant au ciel de ces
fusées dont les pauvres soldats transformeraient l'armature en belles et
misérables bagues, si souvent gage de l'impossible espéré. Que ne guettait-il
pas?»
Les éditeurs (Bernard Peissonnier et Robert Mallet) ont classé les poèmes en
plusieurs groupes. Après un poème de trois vers contenant l'expression qui
donne son titre au recueil, vient la première section, «Stavelot» (1899) qui
comprend seize textes, essentiellement écrits pendant les trois mois d'été
qu'Apollinaire passa dans les Ardennes belges. La plupart des neuf poèmes
rassemblés dans la deuxième partie, «Rhénanes» (1901-1902), avaient été
publiés en revue par l'auteur. Les «Poèmes à Yvonne» (1903) se composent de
cinq pièces extraites du «Journal» que tenait à cette époque Apollinaire:
elles sont adressées à une voisine de palier dont les charmes avaient séduit
le poète et leurs accents rappellent parfois ceux des Poèmes à Lou. La
dernière section, «Poèmes divers» (1900-1917) regroupe, sans souci de cohésion
manifeste, quarante-trois poèmes.
Certes, la mélancolie est un trait dominant des poèmes, qu'il s'agisse de
textes personnels _ «Je suis un roi qui n'est pas sûr d'avoir du pain / Sans
pleurer j'ai vu fuir mes rêves en déroute» ("O mon coeur j'ai connu la triste
et belle joie") _ ou de poèmes dont le lyrisme s'inscrit dans une atmosphère
et une forme qui rappellent plutôt le conte ou la ballade ("la Clef"). Cette
mélancolie, placée sous le signe du tragique _ «Comme un guetteur mélancolique
/ J'observe la nuit et la mort» ("Et toi mon coeur pourquoi bas-tu?") _, n'est
toutefois ni monotone ni complaisante car le poète «guetteur», toujours en
éveil, sait la tenir à distance et la transcender par les jeux et la magie
poétiques.
Ainsi, l'expression d'une douleur peut être ludique, la tristesse se mêlant à
l'humour, au sourire _ «Et je me deux / D'être tout seul» ("Il me revient
quelquefois") _, la méditation grave et «lugubre» à la facétie et à la
fantaisie graphique (voir le poème intitulé "69 6666... 6 9..."). Apollinaire
n'hésite pas à dédramatiser et à désacraliser la littérature: «Mais en fait
d'littérature / Il n'y en a pas plus qu'au / Congo que dans la nature / Qu'à
la cascade de Coco» ("le Cercle «la fougère»").
Écrits sur une longue durée, les poèmes du Guetteur mélancolique reflètent
moins une évolution que la richesse de la poésie d'Apollinaire. Originales et
variées, son inspiration et sa facture sont toujours reconnaissables et
pourtant toujours diverses.

4. Le poète assassiné - Guillaume Apollinaire 1901 :

Recueil de contes de Guillaume Apollinaire, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris
de Kostrowitzky (1880-1918), publié à Paris à la Bibliothèque des Curieux en
1916. De nombreux textes du Poète assassiné avaient tout d'abord paru dans
différentes revues, dès 1901, mais surtout entre 1911 et 1913.
Longuement mûri au cours d'une quinzaine d'années, l'ouvrage est quasiment
achevé au début de la guerre. Il est le fruit de l'assemblage de textes divers
qui, à l'origine, ne participaient pas d'un projet commun: certains
s'inscrivaient dans une entreprise autobiographique, d'autres étaient destinés
à un roman que l'auteur voulait intituler la Gloire de l'olive, d'autres
encore sont des parties demeurées inutilisées de l'Enchanteur pourrissant.
Apollinaire a transformé ces matériaux disparates afin de les intégrer à son
oeuvre, notamment au premier récit intitulé «le Poète assassiné». Le recueil
parut après la longue convalescence d'Apollinaire consécutive à sa grave
blessure à la tête reçue en mars 1916 sur le front de Champagne. Ses amis
fêtèrent sa rentrée littéraire par un banquet et la critique se montra dans
l'ensemble favorable, voire élogieuse. L'ouvrage fut présenté à l'académie
Goncourt mais, tout comme en 1910, Apollinaire eut la déception de ne pas
obtenir le prix.
Le recueil comprend seize récits de longueur inégale, les deux premiers _ «le
Poète assassiné» et «le Roi-Lune» _ constituant à eux seuls plus de la moitié
du livre. «Le Poète assassiné» relate, en dix-huit chapitres, la vie du poète
Croniamantal, depuis sa «Procréation» (II) et sa «Gestation» (III) jusqu'à son
«Assassinat» (XVII) et son «Apothéose» (XVIII). Dans «le Roi-Lune», le
narrateur, qui s'est égaré durant une promenade, se réfugie pour la nuit dans
une grotte où il découvre un univers fantastique dans lequel le passé revit et
les désirs les plus fous sont satisfaits. Les quatorze textes suivants
utilisent parfois les ressorts du surnaturel _ dans «le Départ de l'ombre»,
Louise Ancelette perd son ombre peu avant sa mort _ mais, dans l'ensemble, ils
relèvent davantage du tableau de moeurs: «Giovanni Moroni» rapporte les
souvenirs d'un Italien «employé dans un établissement de crédit» dont les
«propos ne sort[ent] généralement point de la réalité courante»; «la Favorite»
campe le portrait de la Cichina, une «femme du peuple» qui prétend avoir eu
pour amant le roi Victor-Emmanuel. Toutefois, l'atmosphère et la visée des
récits ne sont jamais réalistes. Apollinaire privilégie le pittoresque et
l'insolite, qu'il porte aux frontières de l'extraordinaire, voire du farfelu.
Dans «Sainte Adorata», le corps de la sainte prétendument «martyrisée aux
premiers temps du christianisme» dont le tombeau a été découvert «voilà près
de soixante ans» et dont la «châsse très vénérée» se trouve dans une église
hongroise, fut en fait la maîtresse d'un homme devenu aujourd'hui un «petit
vieillard»; celui-ci raconte au narrateur comment il fit embaumer sa maîtresse
puis l'ensevelit dans un sarcophage acheté chez un antiquaire.
Le titre de l'ouvrage met en relief le premier récit et pose la figure du
poète comme élément fédérateur du recueil. Le dernier conte, intitulé «Cas du
brigadier masqué c'est-à-dire le poète ressuscité», se présente comme le
pendant du «Poète assassiné». Il fait en outre réapparaître divers personnages
dont le destin simultané s'offre soudain à la vision totalisante du poète
ressuscité.
«Le Poète assassiné», au-delà des divers aspects autobiographiques que l'on
peut y déceler, dessine une figure mythique, ainsi qu'en témoignent l'allusion
implicite à Homère placée au début du premier chapitre et la comparaison avec
Orphée sur laquelle s'ouvre l'avant-dernier chapitre. Croniamantal a d'emblée
une dimension universelle: la multiplicité des peuples recensés dans le
premier chapitre prouve que sa gloire s'étend au monde entier. Victime de
l'incompréhension hostile de la foule qui le lynche, il parle en prophète
avant de mourir: «Je suis Croniamantal, le plus grand des poètes vivants. J'ai
souvent vu Dieu face à face. J'ai supporté l'éclat divin que mes yeux humains
tempéraient. J'ai vécu l'éternité. Mais les temps étant venus, je suis venu me
dresser devant toi» («Assassinat», XVII).
Le destin héroïque et tragique du poète est toutefois évoqué dans un registre
essentiellement parodique. Ainsi, le monument qu'élève à sa mémoire son ami
sculpteur dans le dernier chapitre («Apothéose», XVIII) est «une profonde
statue en rien, comme la poésie et comme la gloire». Dans sa verve excessive
et loufoque, la prose d'Apollinaire n'est pas dépourvue d'accents
rabelaisiens. Canulars _ à la fin d'«Arthur roi passé roi futur», l'auteur
précise que le texte a été écrit «à la date du premier avril» _, jeux de mots
et incongruités s'y côtoient pour camper un univers plein d'une euphorique
fantaisie. La poésie elle-même est l'objet, dans maintes nouvelles, d'une
décapante dérision: les noms de Tzara et du mouvement Dada sont allègrement
estropiés _ «Les nègres le nomment Tsatsa ou Dzadza» («le Poète assassiné»,
I); la nouvelle intitulée «Petites Recettes de magie moderne» raille l'art
poétique en l'apparentant à l'art culinaire.
Les jeux du langage et de l'imaginaire à l'oeuvre dans le Poète assassiné vont
de pair avec une vision du monde plutôt pessimiste. André Breton, qui salue en
Apollinaire un précurseur du surréalisme, ne s'y trompe pas: «Apollinaire a
dit, à propos de Giorgio De Chirico, que "pour dépeindre le caractère fatal
des choses modernes, la surprise est le ressort le plus moderne auquel on
puisse avoir recours". Le Poète assassiné est comme la défense et
l'illustration de ce principe» (les Pas perdus, 1924). La mort se trouve au
dénouement de nombre de contes et la souffrance se laisse apercevoir derrière
l'ironie ou le grotesque. Les «petites bombes pleines d'angoisse et de folie»
qui, dans le «Cas du brigadier masqué», font magiquement surgir les divers
personnages pourraient bien constituer une métaphore des nouvelles du Poète
assassiné.

5. Les mamelles de Tirésias Guillaume Apollinaire 1917 :

Drame en deux actes et un Prologue et en vers, de Guillaume Apollinaire,
pseudonyme de Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918), créé à Paris au
théâtre Maubel le 24 juin 1917, et publié à Paris aux Éditions Sic en 1918.
Dans la Préface, Apollinaire présente les Mamelles de Tirésias comme une
oeuvre déjà ancienne: «Sans réclamer d'indulgence, je fais remarquer que ceci
est une oeuvre de jeunesse, car sauf le Prologue et la dernière scène du
deuxième acte qui sont de 1916, cet ouvrage a été fait en 1903, c'est-à-dire
quatorze ans avant qu'on ne le représentât.» Apollinaire reprit la pièce et
l'acheva en 1916, lorsque Pierre Albert-Birot lui demanda un texte pour la
revue Sic. Dans le numéro d'août 1916 de la revue, Apollinaire avait condamné
l'«odieux réalisme», et les Mamelles de Tirésias, «drame surréaliste», sont en
quelque sorte l'illustration de cette prise de position. La première
représentation suscita de vives réactions, tant de la part de la salle, qui
fut houleuse, que de la critique, déconcertée par ce drame provocant.
La pièce s'ouvre sur un Prologue dans lequel le «Directeur de la troupe»
présente l'oeuvre. Le drame, qui se déroule à Zanzibar, est placé sous le
signe de la fantaisie et de l'invraisemblance. L'intrigue s'organise autour du
couple formé par Thérèse et son mari.
Thérèse refuse sa condition de femme qui la voue à l'enfantement. Voulant
conquérir sa liberté, elle se transforme en homme. Elle prend pour nom
Tirésias et quitte son mari. Ce dernier devient alors une femme (Acte I). Le
mari met au monde, on ne sait comment, «40 049 enfants en un seul jour», et
savoure les «joies de la paternité». Il se félicite car ses enfants font sa
fortune: «Plus j'aurai d'enfants / Plus je serai riche et mieux je pourrai me
nourrir.» Mais, comme le fait remarquer le gendarme, «la population
zanzibarienne / Affamée par ce surcroît de bouches à nourrir / Est en passe de
mourir de faim». Finalement, Thérèse retourne auprès de son mari dont elle
veut retrouver l'amour (Acte II).
Dans le Prologue, le Directeur de la troupe présente la pièce en ces termes:
«Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie / Les sons les gestes
les couleurs les cris les bruits / La musique de danse l'acrobatie la poésie
la peinture / Les choeurs les actions et les décors multiples / Vous trouverez
ici des actions / Qui s'ajoutent au drame principal et l'ornent / Les
changements de ton du pathétique au burlesque / Et l'usage raisonnable des
invraisemblances.» Cette exubérance formelle se prétend au service d'un projet
moral: «Je vous apporte une pièce dont le but est de réformer les moeurs.»
Plus précisément, l'auteur veut signaler aux Français «le grave danger reconnu
de tous qu'il y a pour une nation qui veut être prospère et puissante à ne pas
faire d'enfants» (Préface). Cette alliance d'une esthétique avant-gardiste et
d'une éthique nataliste ne laisse pas d'être déconcertante.
Certains ont vu dans cette contradiction une faiblesse de l'oeuvre, et il est
vrai qu'on a du mal à prendre au sérieux les affirmations réitérées
d'Apollinaire qui, dans la Préface, insiste sur la gravité de son sujet
«émouvant». Il présente le «problème de la population» comme une «question
vitale» et espère que sa pièce aura «une influence sur les esprits et sur les
moeurs dans le sens du devoir et de l'honneur». Le drame est toutefois si
farfelu que sa visée morale perd toute crédibilité. On y trouve par exemple
«un prix littéraire / Composé de vingt caisses de dynamite» (II, 2), et l'on y
apprend qu'«un grand incendie a détruit les chutes du Niagara» (II, 4).
Apollinaire crée un univers théâtral surprenant, dépourvu de réalisme, voire
de cohérence. Paraissent sur scène des objets «hétéroclites» (I, 4) et
grotesques _ «Elle jette successivement par la fenêtre un pot de chambre, un
bassin et un urinal» _, et des personnages d'aspect bizarre et loufoque _ «Sa
figure est nue, il n'a que la bouche. Il entre en dansant» (II, 2).
Dans les Mamelles de Tirésias, Apollinaire donne avant tout «un libre cours à
[sa] fantaisie» et désacralise l'oeuvre littéraire en la portant aux
frontières du canular: «Il m'est impossible de décider si ce drame est sérieux
ou non», confie-t-il, non sans malice, dans la Préface. L'aspect provocant de
l'oeuvre témoigne d'une volonté de rénover le théâtre en l'affranchissant de
l'«idéalisme vulgaire» et du«naturalisme en trompe-l'oeil» (ibid.).
Apollinaire invente même un terme pour désigner cette esthétique nouvelle:
«Pour caractériser mon drame je me suis servi d'un néologisme [...]et j'ai
forgé l'adjectif surréaliste qui ne signifie pas du tout symbolique [...] mais
définit assez bien une tendance de l'art qui si elle n'est pas plus nouvelle
que tout ce qui se trouve sous le soleil n'a du moins jamais servi à formuler
aucun credo, aucune affirmation artistique et littéraire» (ibid.). Certes, le
mot n'a pas encore le sens que lui octroieront Breton et ses amis, mais la
pièce d'Apollinaire manifeste toutefois déjà un souci de libérer la création
de l'emprise des conventions et de la logique.

6. L'enchanteur pourrissant - Guillaume Apollinaire 1909 :

Récit en prose entrecoupé par quelques poèmes de Guillaume Apollinaire (de
son vrai nom Wilhelm de Kostrowsky), poète français, né à Rome en 1880,
mort à Paris en 1918. La première édition de cet ouvrage parut en 1909,
illustrée de 12 gravures sur bois en pleine page, et de lettrines par
André Derain. Dans ce livre, Apollinaire reprend la vieille légende de
Merlin. Cependant, il ne la garde intacte que dans ce qu'elle a
d'essentiel, que pour ce qu'elle exprime du drame éternel de l'homme
enfermé dans sa solitude, destiné, malgré son savoir des choses et de lui-
même, à ne rien dominer et à rester la victime de son sort. Mais
Apollinaire, par delà le mythe et ce qu'il comporte d'impersonnel et
d'anonyme, est allé rejoindre le personnage de l'Enchanteur et s'y
retrouver. L' Enchanteur, par ce qu'il a de différent des autres hommes,
par ses dons de voir ce que les autres ne voient pas, de connaître ce
qu'ils ne connaissent pas, devient alors autre chose: c'est le poète, le
prophète, l'individu parfaitement seul et rejeté. L'histoire du conte
commence au moment où l'Enchanteur, par amour pour Viviane, lui délivre
les secrets magiques et dangereux qu'elle désire connaître. Il les lui
dévoile sans être dupe, sachant très bien quel usage elle en fera et qu'il
en sera la première victime. Viviane par haine, mais peut-être aussi
venant de bien plus loin que sa haine, par un désir de revanche et de
victoire définitive sur l'homme, prononce les paroles magiques qui amènent
l'Enchanteur à s'étendre conscient dans son tombeau et à y mourir. Alors,
de toutes parts s'acheminent les animaux réels ou fantastiques, ses amis.
Toute la faune magique et ensorcelante, démoniaque et charmeuse, d'hydres,
de crapauds, de serpents, de corbeaux et de monstres, avec leurs paroles
d'hommes, leurs désirs, leurs rêves et leurs cruautés d'homme. Le monstre
Chapalu: "Je suis solitaire, j'ai faim, j'ai faim; cherchons à manger,
celui qui mange n'est plus seul." Les guivres: "Nous voudrions le baiser
sur nos lèvres que nous léchons pour les faire paraître rouges.
Enchanteur, Enchanteur, nous t'aimons. Ah si l' espoir s'accomplissait."
Tous recherchent l'Enchanteur. Et, jusqu'à la fin du livre, ce sera cette
suite ininterrompue de plaintes et d'entretiens avec l'âme de
l'enchanteur. Ce qui est curieux, c'est d'assister à la réunion, autour du
mort, des personnages de tous les mythes, moyenâgeux, grecs, hébreux,
chrétiens... Les rois Mages arrivent, porteurs de présents; les druides;
les sphinx, poseurs d'énigmes, "afin d'avoir le droit de mourir
volontairement", disent-ils; Hélène de Troie, Médée, Dalila, les fées.
Tous les mythes se rejoignent et se retrouvent liés autour du mythe du
poète. La fin du livre est très belle: les personnages se retirent,
Viviane reste seule assise sur le tombeau de l'Enchanteur. Ils se parlent.
Apparaît alors la raison profonde et amère de l'acte de Viviane et de
l'abdication de l'enchanteur: c'est parce qu'ils savent l'impasse
désespérée où se heurtent éternellement l'homme et la femme sans jamais
pouvoir se rejoindre, définitivement coupés l'un de l'autre, séparés et
seuls.

〉Les poèmes classés par auteurs

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Poèmes & Poésies: Principales oeuvres de Guillaume Apollinaire
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